Accélération #2 - Moratoire sur la reconnaissance faciale à Montréal, aberrations économiques, la fin de l'empathie et ++
Regard critique sur le futur de l’économie, de la technologie et de la société
#Accélération est un recueil de liens, idées et autres articles extraordinaires qui couvre l'économie, les technologies et les tendances émergentes, réunis par Sarah pour élargir vos horizons et stimuler votre réflexion.
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Bonne lecture!
🎭 Moratoire sur la reconnaissance faciale à Montréal?
Photo by Scott Webb from Pexels
La semaine dernière, je mentionnais que plusieurs corps policiers municipaux canadiens ont reconnu posséder et utiliser des systèmes de reconnaissance faciale et que la GRC s’est récemment montrée intéressée par la technologie. Et bien, je ne suis pas la seule à être préoccupée par ces développements. Des conseillers de l’Opposition à la ville de Montréal tenteront de convaincre l’administration municipale d’adopter un moratoire sur l’utilisation de technologies de reconnaissance faciale par le Service de police de Montréal (SPVM) lors d’un débat au prochain conseil de ville, les 19 et 20 août prochains. J’applaudis cette initiative.
Pour le moment, le SPVM refuse de « confirmer ni infirmer » s’il utilise de telles technologies. C’est une tactique trop souvent utilisée par les corps policiers. La police de Toronto a longtemps refusé de confirmer qu’ils utilisaient la technologie de captation cellulaire Stingray pour intercepter les IMSI (International Mobile Subscriber identity). Il aura fallu 3 ans de bataille juridique par des journalistes du Toronto Star, suite à une demande d’accès à l’information, pour que la police de Toronto avoue finalement utiliser de tels appareils (en) depuis 2010.
À en croire le conseiller Marvin Rotrand, qui tente de soulever un débat sur ces technologies depuis plusieurs mois déjà, l’administration de Projet Montréal semble se ranger derrière cette excuse pour refuser de réglementer tant la technologie de reconnaissance faciale que la technologie d’interception des IMSI, malgré l’importante violation de la vie privée des Montréalais qu’elles impliquent. À mon avis, c’est une erreur.
*Rosannie Filato est la responsable de la Sécurité publique, à la Ville de Montréal.
*Projet Montréal est le parti politique au pouvoir à la Ville de Montréal.
🚔 Les dérapages technologiques de la surveillance policière
À travers le monde, nous sommes témoins d’une croissance fulgurante de l'utilisation de diverses technologies de surveillance par la police, en secret et à l’abri de tout contrôle démocratique.
Séduits par la facilitation de la gestion du trafic, nous sommes aujourd'hui favorables à la lecture automatique des plaques d'immatriculation, même si ces informations permettraient de suivre nos déplacements à large échelle. Convaincus qu'elles pourraient réduire la discrimination envers centaines populations vulnérables ou racisées, nous demandons que les policiers soient dotés de caméras corporelles, avant même d'avoir déterminé la façon dont seront utilisées et éventuellement détruites les séquences filmées. Popularisées par les téléséries comme CSI, nous sommes persuadées que la reconnaissance faciale permet d'identifier un suspect en quelques secondes, alors que les taux de faux positifs atteignent jusqu'à 81% à Londres, la ville ayant le plus grand nombre de caméras publiques au monde.
Depuis quelques mois, les révélations concernant l'utilisation de technologies de surveillance ont été nombreuses :
Ficher... des enfants
Une enquête du New York Times a mis en lumière le fait que « la police de New York versait des milliers de photos d’arrestations d'enfants et d'adolescents dans une base de données de reconnaissance faciale (en), en dépit des preuves que la technologie présente un risque plus élevé de fausses correspondances pour les jeunes visages », et ce depuis au moins 4 ans. Le plus troublant c’est que le NYPD n'a pas cru bon d'informer les membres du conseil de ville qu'ils recourraient à cette technologie, exactement comme à Montréal et Toronto.
Manipuler les images
Une étude de l’Université Georgetown (en) aux États-Unis a recensé les façons dont les policiers utilisaient les systèmes de reconnaissance faciale, identifiants des pratiques complètement aberrantes telles que l’utilisation de sketches dessinés plutôt que de photos pour identifier des suspects, d’images de personnalités connues ressemblant au suspect ou encore la manipulation graphiques d'images par des logiciels pour faciliter la recherche, allant jusqu’au réalignement de la bouche ou l’ajout d'yeux. C’est le genre de dérapage auquel on doit s'attendre en l’absence de tout encadrement.
La technique du filet de pêche
Plus tôt cette année, le magazine Slate révélait que plusieurs corps de police américains obtiennent des mandats de perquisition leur permettant d'exiger que Google leur remette les données de géolocalisation générées par son application Google Maps (en). Surnommé, « mandat de perquisition inversé », l’idée est d’exiger les données de toutes les personnes qui se trouvaient dans une zone précise près d’une scène de crime afin de tenter d’identifier un suspect. Combien de temps ces données sont-elles conservées? Peuvent-elles être réutilisées dans le cadre d’une autre enquête? Etc. Ces balises sont inexistantes.
Des perquisitions tout en douceur
Une enquête du magazine Vice a révélé une étroite collaboration entre plus de 225 départements de police et Ring, une entreprise d'équipements intelligents de sécurité résidentielle appartenant à Amazon. Selon Vice, Ring encourage et aide les corps de police locaux à utiliser l'application mobile Neighbors by Ring pour obtenir, sans mandat, des séquences vidéo de la part des propriétaires d'équipement (en). Ces partenariats ont également permis à Ring d'obtenir accès à des données de répartition d’urgence (911) (en) qu’elle utilise pour générer des alertes en temps réel sur son app. Pour Amazon, ce ne sont que des stratégies pour faire la promotion de ses produits. « L'application est de facto une publicité pour les caméras de sécurité Ring : elle montre aux utilisateurs de quoi et de qui ils devraient avoir peur, et elle suggère que les caméras Ring sont la solution à cette peur. » Vendus au Canada et offert avec le service de surveillance professionnelle Ring Alarm partout au Canada (à l'exception du Québec), l'application Neighbors n'est toutefois pas encore disponible au Canada. Fiou.
Ville intel… surveillée?
Nous sommes en voie de passée d'une ville intelligente à une ville surveillée. L’objectif ici n’est pas d’interdire toute utilisation de la technologie par les corps policiers, mais plutôt de s’assurer qu'elles ont utilisées en toute transparence, que des garde-fous démocratiques existent et que les lois et les droits des citoyens sont respectés. Les risques pour la vie privée des Montréalais sont suffisamment importants pour justifier l'adoption d'un moratoire sur les technologies de reconnaissance faciale, le temps que nous adoptions collectivement les règles qui doivent les encadrer.
🛴 Dure semaine pour la micromobilité
Les trottinettes électriques, permises depuis peu à Montréal, émettent plus de GES qu’elles n’en sauvent selon une étude de leur cycle de vie (en) effectuée par la North Carolina State University. La durée de vie moyenne d’une trottinette serait d’à peine 30 à 60 jours!
Une étude commissionnée par Uber et Lyft confirme que leurs services aggravent la congestion routière dans les grands centres urbains (en). Le World Economic Forum en rajoute : dans les pays en développement aussi (en)! Rien pour réjouir Uber qui a annoncé avoir perdu 5,2 milliards de dollars (vous avez bien lu) lors de son deuxième trimestre.
Pendant ce temps, au Japon, de plus en plus de citoyens louent des voitures en autopartage... sans les conduire (en). Ils utilisent plutôt la voiture comme un espace personnel où dormir, manger, réfléchir. Je serais intriguée de savoir si cette tendance est présente à Montréal également!
💸 L'économie québécoise à plein régime
Selon The Logic, la Caisse de dépôts et placements du Québec compte investir jusqu'à 2 milliards de dollars dans des technologies disruptives (en).
Investissement Québec devra se montrer plus audacieuse, réorienter ses investissements de manière à favoriser davantage le développement des entreprises québécoises et des régions et miser sur l'international suite au dépôt en juin dernier d'un projet de loi intitulé Loi concernant l’organisation gouvernementale en matière d’économie et d’innovation.
La banque TD aussi compte se tourner vers les régions du Québec (en) avec une stratégie de « présence locale extrême » afin de profiter du fait que l'économie du Québec roule au maximum.
« Les entreprises québécoises ont déjà annoncé 309 acquisitions d'une valeur de 24,1 milliards de dollars au cours du premier semestre de l'année, ce qui les place en bonne voie pour dépasser les 655 transactions évaluées à 39,1 milliards de dollars pour l'ensemble de 2018, selon les données compilées par Bloomberg. »
Les acquisitions d'entreprises québécoises par des firmes étrangères font toujours la manchette, mais nos sociétés sont elles aussi très actives.
🏦 Paradis fiscaux et autres aberrations économiques
Amazon n’a payé aucune taxe (en) sur des profits de 11 200 000 000$ aux États-Unis en 2018 et a même reçu un remboursement d'impôt de 129M$. Impossible de savoir combien l'entreprise a payé de taxes au Canada, si elle en a payé. Le rapport annuel d'Amazon consolide l'ensemble des taxes payées à l'étranger dans une seule catégorie et je n'ai trouvé aucun article sur le sujet par nos journalistes canadiens. Considérant la controverse entourant le refus du gouvernement Trudeau d'imposer la taxe de vente fédérale aux géants comme Netflix, j'aurais pensé que ce sujet serait un meilleur filon journalistique.
Grâce au Globe and Mail, on sait toutefois qu'en 2018, au Canada,18 entreprises canadiennes ont transféré 1,6 milliard de dollars dans des paradis fiscaux (en). Cela pourrait équivaloir à une perte de 25 milliards de dollars d’impôt fédéral, sans compter les impôts provinciaux.
Cette tendance à la diminution constante de la contribution du secteur privé aux comptes nationaux n'est pas nouvelle. En 2017, une équipe de journalistes du Toronto Star a produit un portrait effarent de l'évolution de la fiscalité des entreprises depuis 1952. Pourquoi 1952? C'était la dernière année où l'impôt sur le revenu des sociétés et l'impôt sur le revenu des particuliers étaient au même niveau. Aujourd'hui, alors que les citoyens ont payé 145 milliards de dollars d'impôts en 2015, les entreprises n'ont contribué que 41 milliards de dollars. Le rapport complet (en) du Star, rempli d'infographie et de données, mérite vraiment d'être consulté.
Il est très rare que des hauts dirigeants soient accusés et encore moins condamnés pour des crimes de nature économique. Malgré les fraudes et autres escroqueries qui ont été mises à jour suite à la crise économique des prêts hypothécaires en 2008, aucun dirigeant de Wall Street n'a été condamné à des peines de prison (en). En fait, la plupart ont tout simplement poursuivi leur carrière, promotions et tout (en). C'est pourquoi la nouvelle est si surprenante que la Malaisie, dans le cadre du scandale de 1MDB qui a coûté à l'état des milliards de dollars, a déposé des accusations criminelles aux États-Unis contre deux dirigeants de Goldman Sachs. Pour ceux qui ne connaissent pas cette gigantesque fraude, il vous suffit de visionner l'excellent épisode de la série Patriot Act d'Hasan Minaj (en) ou de lire ce reportage du Temps.
Peut-être qu'il est serait temps de simplement repenser les sciences économiques!
🌎 Climat : la gestion des terres au coeur du problème
Au cours des dernières années, les approches mercantiles ou technologiques pour réduire les GES étaient les seules à être discutées : les systèmes de plafonnement des émissions et d’échanges de crédit, les taxes sur le carbone ou les méthodes de géo-ingénierie comme la captation et le stockage du carbone occupaient toute la place.
Alors que les impacts des changements climatiques s'accélèrent un peu partout sur la planète (juillet fut le mois le plus chaud jamais enregistré, la fonte glaciaire au Groenland a atteint des records, tout comme les feux de forêt en Sibérie), deux nouvelles solutions d’envergure commencent à faire le chemin dans le discours public : la plantation massive d’arbres et la réduction de l’agriculture bovine.
Une récente étude chiffre à 900 millions d’hectares (en), la superficie que nous pourrions reboiser dès maintenant, permettant ainsi de capter l’équivalent de 25% des émissions humaines jamais émises! L’étude souligne que seulement 6 pays représentent 50% de ce potentiel de reboisement. Par pays (en millions d’hectares) = la Russie (151), les États-Unis (103), le Canada (78.4), l’Australie (58), le Brésil (49,7) et la Chine (40.2). Selon l’auteur, le coût d’une telle initiative serait d’environ 300 milliards de dollars.
En 2018, l’Australie s’est dotée d’un plan national pour planter un milliard d’arbres au cours des 10 prochaines années (en), mais cela n’équivaut qu’à 400 000 hectares, une fraction, moins de 1%, de l’objectif ciblé par l’étude, soit 58 millions d’hectares. Il faut plutôt s’inspirer des Éthiopiens, qui ont planté 352 millions d’arbres en 12 heures (en) récemment. Avec les élections fédérales qui approchent au Canada, un engagement ferme en faveur d’un projet de reboisement massif serait bienvenu!
Mais soyons franc, même à cette ampleur, le reboisement n’offre qu’un sursis et il faudra éventuellement cesser de brûler nos énergies fossiles et modifier notre gestion des terres, notre production agricole et notre alimentation. En effet, le plus récent rapport du GIEC rappelle à quel point l’agriculture est un élément clé de toute solution climatique et préconise que nous réduisions rapidement notre consommation de viande.
Quoique le rapport, pour la première fois, attaque de front nos habitudes de consommation, pour Georges Monbiot, un de mes chroniqueurs préférés au journal The Guardian, le GIEC n'est pas allé assez loin, sous-estimant encore une fois les émissions de carbone générées par notre consommation de viande et de produits laitiers.
🥺 Y a-t-il une limite à notre empathie?
L'Institut d’éthique AI de Montréal a publié une réflexion sur l’empathie et les robots (en) par Camylle Lanteigne. Elle y avance que plusieurs conditions sociales actuelles (la remise en question épistémologique et nihiliste de la réalité par les « faits alternatifs », l’intolérance et la polarisation exacerbée par les médias sociaux, etc.) sont les symptômes d'une perte d’empathie envers nos concitoyens et que l’arrivée de robots sociaux toujours prêts à répondre à nos moindres désirs et n’impliquant qu’un faible engagement émotionnel pourrait accentuer ce décrochage au point de pouvoir générer une forme de dégoût moral envers nos semblables, les humains, si imparfaits et complexes.
Traduction : il y a quelque chose de radical et de profondément troublant à pouvoir programmer son proche aidant, son ami ou son amant exactement comme on le souhaite, ce qui a été impossible jusqu’ici dans un monde purement humain. Par conséquent, si nous voulons préserver la cohésion sociale, laquelle s’estompe déjà, nous devons réfléchir sérieusement à la manière dont nous continuerons à intégrer les robots sociaux dans notre société de manière à nous assurer que les humains n'en soient pas exclus.
Cette réflexion a été admirablement mise en fiction par le film « her » (bande-annonce fr) où on suit le développement d’une relation amoureuse entre un homme et un système d’exploitation intelligent pour vite réaliser que l’ensemble de la société est en train de vivre la même chose et se détache peu à peu de toutes relations humaines.
Une baladodiffusion produite par le réseau américain NPR, Invisibilia dédié à l'exploration des forces qui influencent nos comportements et façonnent nos idées et nos croyances, a également abordé la question de l’empathie dans un épisode récent, n'annonçant rien de moins que sa mort. Le reportage décrit le parcours d’un jeune homme s’étant sorti du milieu des « Incels », un groupe très actif en ligne se qualifiant de célibataires involontaires et faisant la promotion de la misogynie. Produit en trois parties, le reportage raconte la même histoire de deux points de vue entièrement différents, un emphatique et l’autre… moins et s’interroge ensuite à savoir lequel représente mieux la réalité. Y a-t-il une limite à notre empathie, demande-t-il? À écouter (en)!
📖 En rafale
Retour percutant sur la domination des marques dans nos vies (en), 20 ans après la parution de No Logo. À lire absolument!
Je crois sincèrement dans les bienfaits de la méditation pour les avoir expérimentés personnellement. Toutefois, cette pratique peut également être pervertie et nous désengager de soi (en) et du monde (en).
Henry Kissinger, conseiller politique de longue date, influent, mais controversé signe avec deux autres têtes pensantes de la révolution apportées par l'intelligence artificielle, un éditorial percutant où ils s'interrogent sur la métamorphose de l'humanité (en), c'est-à-dire sur les impacts de l'IA sur la perception, la cognition et l'interaction humaines (en).
En terminant
Quand je commence à rédiger cette lettre, je me demande toujours si j’aurai assez de contenu intéressant d’ici la fin de la semaine. Puis à la fin, je me rends compte que je dois plutôt limiter mon enthousiasme!
Vos commentaires seront donc précieux alors que j’explorerai plusieurs arrangements permettant de produire un contenu intéressant, mais aussi qui nourrit la réflexion. N’hésitez-donc pas à m’écrire.
Aussi, je suis particulièrement friande de réflexions longues en français sur les impacts sociaux de l'économie et de la technologie. Si vous avez des suggestions de site Web ou de lectures, écrivez-moi ici : sarah@inferencelab.ca.
Merci d’être là!
Sarah