Regard critique et exploratoire sur le futur de l’économie, de la technologie et de la société, #Accélération interroge les tendances émergentes et les récits dominants dans l'espoir de nourrir notre imaginaire collectif et transformer notre futur.
Hello!
Bon et bien j’ai récidivé. Vous trouverez ci-dessous un autre essai impromptu et quelques liens vers des lectures d’intérêt. Je ne ferai donc plus de promesses sur la fréquence ou la forme de cette lettre. J’espère néanmoins que vous continuez d’y trouver matière à réflexion.
Bonne lecture!
Sarah
Nos données médicales au plus offrant?
La déclaration de Fitzgibbon, Ministre de l’Économie, comme quoi il rêve d'attirer de grandes entreprises pharmaceutiques avec les données privées de la Régie d’assurance maladie du Québec a suscité énormément de réactions ces dernières semaines. La population est de plus en plus conscientisée aux risques entourant l’utilisation de leurs données.
J’ai moi-même rédigé une enfilade pour attirer l’attention sur les excursions du National Health Service du Royaume-Uni dans le domaine du partage des données des citoyens, espérant que ça nous apprenne à être plus prudents qu'eux.
Le problème principal ici n’est pas tant autour de la collecte, de l’accès ou de l’analyse des données, c’est tout simplement un débat sur la privatisation d'un bien public. Dans la logique capitaliste qui prévaut aujourd’hui, la mission première des pharmaceutiques n’est pas d'améliorer la santé du public, mais plutôt de vendre plus de médicaments pour accroître les profits, de sorte que si ces données sont plus utiles pour faire du marketing auprès des médecins que pour la recherche, c’est la direction qu’elles prendront. De plus, certains chercheurs soulignent à raison l’insignifiance thérapeutique d’une grande part des investissements pharmaceutiques : « 92 % des médicaments brevetés lancés sur le marché canadien en 2018 n’apportaient aucune avancée thérapeutique significative par rapport aux médicaments existants ».
Le second enjeu est l’absence de transparence dans tout ce débat. On aura beau chialer parfois contre la vacuité de la couverture journalistique du Journal de Montréal, leur bureau d’enquête continue de faire un travail essentiel au Québec. Suite à la déclaration de Fitzgibbon, ils ont publié une série d’articles jetant un peu de lumière sur ce qui grenouille déjà dans le secteur. Résumé :
D’abord, il faut savoir que la RAMQ compte déjà sur une équipe de 66 personnes au sein de sa direction de l’intelligence d’affaires et de l’analytique, dont le but est, entre autres, de rendre disponibles les données des Québécois au gouvernement, aux chercheurs, mais aussi au privé. Actuellement, le partage se fait à petite échelle. Le problème, si on ouvre les vannes, c’est que l’anonymisation est très difficile à atteindre, affirment les archivistes médicaux. J’ajouterais que c’est un enjeu largement reconnu dans plusieurs autres domaines dont les données de mobilité ou cellulaires, qui lorsqu’elles sont croisées permettent de facilement ré-identifier les individus.
Ensuite, il ne faut pas croire que la déclaration du ministre Fitzgibbon est complètement improvisée. Déjà en 2018, il a eu des discussions au sujet des données de la RAMQ avec des géants de la pharmaceutique lors de son passage au congrès international de la Biotechnology Innovation Organization à Philadelphie. On peut parier que les échanges ne se sont pas arrêtés là considérant la valeur estimée des données centralisées québécoises.
Malheureusement, il est difficile d’avoir un portrait clair du lobbyisme auxquels sont sûrement soumis nos élus. Une (très brève) recherche dans le registre des lobbyistes du Québec révèle plus de 50 mandats avec le mot « pharmaceutique ». Mais rares sont les mentions précises de l’accès ou au partage des données. Robert Dutrisac, du Devoir, mentionne spécifiquement ImagIA et General Electric, toutes deux intéressées par les données massives en santé. Eli Lilly Canada en fait aussi mention dans un mandat en cours depuis 2014 visant à favoriser "plus d'accès pour les chercheurs aux données cliniques ». Quelques grandes pharmas comme AstraZeneca milite quant à eux pour que Québec adopte des politiques, règlements ou lois pour améliorer la compétitivité de l' « environnement de recherche et développement », ce qui pourrait très bien inclure un accès accru aux données de la RAMQ. En effet, mon expérience en politique m’a permis de constater personnellement comment les entreprises entretiennent le flou dans la description des mandats qu’ils inscrivent au registre.
Finalement, ce qui fut particulièrement révélateur, ce fut d’apprendre l’existence de l’organisme à but non lucratif Precinomics. Cet organisme, étroitement lié avec l’Institut de cardiologie de Montréal, a déjà reçu près de 5M$ pour mettre sur pied une plateforme de partage et d’accès à des données génomiques et médicales. Ils utiliseraient actuellement les données de 240 000 patients ayant soumis leur consentement dans le cadre d’une première phase nommée ARCHI. La Commission d’accès à l’information se penchera d’ailleurs sur le dossier. À terme, l’objectif serait de « valoriser » les données dans le cadre de partenariats avec le secteur privé.
Plusieurs questions se posent sur les suites de ces projets. Le gouvernement ou la RAMQ envisage-t-elle d’ouvrir leurs données à cette plateforme? Ou encore, comme le souligne l’expert interviewé par le JdM, notamment, à quoi ces personnes ont-elles consenti exactement? Étaient-elles au courant que leurs données pourraient être vendues?
Au boulot, on s’apprête justement à développer et tester, collaborativement avec un groupe de chercheurs issus de plusieurs universités, un modèle de gouvernance permettant d’obtenir un consentement éclairé et dynamique pour une plateforme de données de recherche médicale nommée PULSAR. La philosophie derrière ce projet est aux antipodes de celle de Precinomics : transparente, inclusive, éprouvée. À l’opposé, lorsque le PDG de Precinomics, Alain Gignac, affirme « les différents enjeux techniques, éthiques, légaux et financiers ont été analysés », ça me donne froid dans le dos, puisque collectivement ces enjeux sont loin d’être réglés.
Dans le secteur numérique, des réflexions importantes sont en cours pour déterminer des modèles de gouvernance qui répondent à l’impératif d’être dans l’intérêt du public, tout en étant adaptés au partage de données. La fiducie de données est un des modèles prometteurs. Au gouvernement, la réflexion a débuté avec le dépôt du nouveau projet de loi 64 sur la protection des renseignements personnels, dont on a toutefois bien peu entendu parler depuis son dépôt en juin. Mais cette réflexion devra être élargie, on ne peut plus réfléchir aux données que du point de vue individuel, il faut une vision véritablement collective, une réflexion politique qu’on attend toujours comme le souligne l’Actualité et une commission parlementaire pourrait donc être la bienvenue.
Au final, l’accélération tant de la transformation numérique que du vieillissement de la population font de l’accès et de l’utilisation de nos données collectives, un chantier déterminant pour le futur du Québec. Il faut toutefois être bien plus ambitieux que le propose Fitzgibbon (et un peu plus critique). Je suis convaincue que nous avons l’opportunité de jeter les bases d’un géant aussi majeur qu’Hydro-Québec si nous faisons les choses adéquatement. Plutôt que de vendre nos « données brutes », nous devons miser sur le développement d’un savoir-faire local et privilégier les projets dont les retombées sont réelles pour les Québécois. Les grappes industrielles de la pharmaceutique, de l’IA et du numérique sont bien implantées au Québec, nous avons donc les compétences qu’il faut pour le faire.
Bref à suivre!!!
Technologie
🍩 Pour illustrer à quel point tout ce débat sur la vente des données de la RAMQ est prématuré, il suffit de lire le compte rendu d'une enquête de huit mois effectué par un journaliste du Financial Post sur les techniques de traçage des données utilisées par Tim Hortons pour s’en convaincre.
🗞️ À l’instar de l’Australie, Ottawa obligera bientôt les plateformes numériques, en particulier Facebook et Google, à dédommager les médias traditionnels lorsqu’elles partagent leur contenu.
Depuis l’annonce du gouvernement australien, Facebook a menacé de ne plus permettre le partage de nouvelles sur sa plateforme, Google a averti que l’Australie pourrait ne plus avoir accès à ses services de recherche en ligne gratuitement et a menacé de pertes de revenus les utilisateurs de YouTube.
Si Steven Guilbault va de l’avant, on peut s’attendre au même genre de discours et de menaces. Considérant la crise des médias traditionnels d’un côté et le rôle qu’ont joué Facebook et Google dans la crise de la désinformation actuelle, ces menaces sont tout simplement indécentes.
🤖 OpenAI a publié un algorithme capable d’écrire de manière autonome et produire des textes pouvant berner les lecteurs. Avancée particulièrement impressionnante qui comporte aussi son lot de risque et de limitations.
Économie
Nous socialisons le coût du sauvetage d’entreprises, voire d’industries entières, alors nous devrions aussi socialiser les réussites propose Mariana Mazzucato, l'économiste connue pour avoir rédigé un livre à l’impact retentissant sur le rôle du gouvernement dans la vague d’innovation ayant mené à l’émergence de la Silicon Valley : The Entrepreneurial State. Elle y propose la notion de « dividende citoyenne » afin de compenser les investissements publics et mettre fin une fois pour toutes à cette politique asociale où nous socialisons les pertes, mais privatisons les profits.
« Par exemple, sous l'administration Obama, le ministère de l'Énergie a réalisé divers investissements dans des entreprises vertes, dont 500 millions de dollars de prêts garantis à l'entreprise solaire Solyndra et 465 millions de dollars à Tesla. Lorsque Solyndra a fait faillite, les contribuables l'ont renflouée. Mais lorsque Tesla a pris de l'expansion, les contribuables n'ont pas été récompensés. »
Le rôle du public et du privé dans l’économie est un des plus anciens débats en science économique et un des plus vifs (et à mon avis des plus encombrés idéologiquement bien malheureusement). Dans cet article, publié dans le magazine numérique Aeon (un magazine qui nous amène toujours ailleurs), Alon Harel explore plus largement les impacts de la privatisation de certaines fonctions de l’État. Donnant la privatisation des prisons en exemple, il explique comment ce phénomène érode la responsabilité civique. Il estime que la notion d’efficience est un barème vide de sens pour déterminer si la privatisation est souhaitable ou non.
« Quelles sont les implications de la privatisation systématique des biens en général ? Elle ne fait rien d'autre que transformer notre système politique et notre culture publique, en remplaçant la responsabilité partagée et l'engagement politique par un processus décisionnel fragmenté et sectaire. »
🌴On le sait, les multinationales se livrent à des stratégies d’optimisation fiscale à grande échelle. Ce qu’on ne réalise que trop rarement c’est que les entreprises canadiennes sont parmi les plus présentes dans les paradis fiscaux et leurs stratégies d'évitement priveraient les Canadiens de 10 à 25 milliards de dollars par an. Rappelez-vous cette information quand le gouvernement voudra parler d’austérité sociale.
🤯 Par ailleurs, les Canadiens les plus fortunés détiennent 25,6 % des richesses du pays. C’est environ 12% de plus qu’estimé auparavant. Selon le Directeur parlementaire du budget, la création d'un impôt sur la fortune rapporterait 5,6 milliards de dollars cette année et jusqu’à 9,5G$ en 2028-29… mais ça… c’était avant les nouveaux chiffres! Imaginez maintenant!! Une autre information à garder en tête alors que se planifie la relance post-COVID.
🗳️ Pour Elizabeth Anderson, alors que nous croyons vivre dans une démocratie, nos lieux de travail sont de véritables petites tyrannies. Son analyse, que je vous recommande vivement, est une prise de conscience essentielle. En effet, je suis convaincue qu'une des étapes fondamentales vers une société post-capitaliste sera de démocratiser le monde du travail.
La dominance des géants de la tech suscite actuellement de nombreuses réflexions sur le pouvoir des entreprises dans la société. Modernisation des droits des travailleurs, regain d’intérêt pour le syndicalisme et mesures anti-monopolistiques constituent les principaux angles de réflexion dans les discours sur le futur du travail. Comme dans cet article où Sandeep Vaheesan s’interroge: àquoi ressemblerait l’entreprise Amazon si elle était démocratique?
Mais même de taille réduite, syndiquée et protégeant mieux les droits de ses employés, Amazon ne serait pas démocratique pour autant.
Yannis Varoufakis, l’ex-ministre des Finances de la Grèce, tente d’imaginer à quoi pourrait ressembler cette nouvelle société et propose dans son nouveau livre Another Now, d'accorder à chaque « salarié-partenaire » une part non négociable accordant un droit de vote dans les assemblées générales de la société. Je suis intriguée.
Société
Depuis plusieurs années, les prédictions démographiques de l’ONU prévoyaient que la population mondiale atteindrait environ 11,2 milliards en 2100. Une nouvelle étude publiée dans The Lancet (aller voir les infographies!) prévoit désormais que la population atteindra son sommet en 1964 et ne dépassera pas 9,7 milliards.
Suivant une chute vertigineuse du taux de fertilité, la population mondiale aura décliné jusqu’à 8,8 milliards en 2100. Un des pays le plus touchés sera la Chine, qui à cette date, aura perdu près de la moitié de sa population selon ces nouvelles prédictions.
Il y a quelques années déjà, j’ai lu l'ouvrage Empty Planet: The Shock of Global Population Decline, où les auteurs faisaient des prédictions semblables, et j’avais été frappé par leur pessimisme. Le futur qu’ils y dépeignaient n'était qu’une triste prolongation du statu quo politique, économique et social actuel. Dans une société où tout se mesure à l’aune de la croissance, un tel déclin de la population ne peut en effet qu’être synonyme de catastrophes.
Pour les économistes, en particulier, le déclin de la population mondiale est un problème majeur puisqu’il signifie un ralentissement de la croissance économique.
Cela n’est pas surprenant puisque la discipline économique relègue dans la catégorie de l’ « hétérodoxie » tout modèle économique sans croissance et confine son enseignement et les publications sur le sujet à leur plus simple expression. Pourtant, plusieurs courants théoriques et pratiques existent comme la décroissance, l’économie stationnaire (steady-stade economy) et l’économie écologique. Confrontés à court terme aux défis posés par le réchauffement climatique ET le déclin de la population, nous devrons revisiter la pensée de ces pionniers.
📵Depuis le printemps arabe, le rôle des technologies joue un rôle de plus en plus important dans les mobilisations citoyennes à travers le monde, au grand malheur des dirigeants autoritaires. Après Hong Kong, voici maintenant le Belarus. À lire, cette analyse d'Open Democracy sur les coûts et les opportunités de ces innovations politiques.
💪Toronto était le théâtre d'es arrestations massives en marge d’une réunion du G20. 10 ans plus tard, les quelque 1100 personnes arrêtées seront indemnisées suite à un règlement historique de 16,5M$.
Un projet pilote mené en Finlande pendant deux ans indique qu’un revenu de base universel semble améliorer le niveau d'emploi et le bien-être.
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